Jean-Jacques Cart (1748-1813) est une figure majeure de l’indépendance vaudoise. Dans le sillage de la Révolution française, il défia les autorités bernoises et fut contraint à un long exil.
A son retour, il participa à la formation de la République helvétique.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831) est l’un de ceux dont la pensée domina le XIXe siècle. Ses cours de philo­sophie du droit et de philo­sophie de l’histoire comptent parmi les sommets d’une entreprise spéculative qui s’efforça de «saisir son temps dans la pensée».

En 1793, depuis son exil dans une France plongée en pleine Révolution, Jean-Jacques Cart publiait ses Lettres à Bernard de Muralt. Retraçant l’histoire du Pays de Vaud, il dénonçait l’oppression qu’y exerçait le gouvernement bernois, qui censura aussitôt ce libelle. Il tomba pourtant dans les mains du jeune Georg Wilhelm Friedrich Hegel, alors précepteur à Berne, qui le traduisit et l’annota.

En 1798, de retour en Allemagne, Hegel publia ce texte sous le couvert d’un anonymat qu’il ne leva jamais. Que l’auteur de la Phénoménologie de l’esprit et des Principes de la philosophie du droit se fût si méticuleusement intéressé à l’histoire du Pays de Vaud ne laisse d’abord pas d’étonner. Quel rapport, en effet, entre cette dénonciation circonstanciée des abus des autorités bernoises et la grandiose construction spéculative de Hegel, présentant l’histoire du monde comme déploiement de la raison? Cette traduction a cependant constitué un moment important de son chemin de pensée et elle éclaire certains des enjeux qui le conduisirent sur la voie de l’idéalisme spéculatif. Parallèlement, les modifications que Hegel apportait au libelle de Jean-Jacques Cart mettent au jour certains des présupposés et des enjeux de ce texte. Ces deux versions se complètent ainsi l’une l’autre, comme si l’histoire et la philosophie s’éclairaient réciproquement, mêlées dans l’existence de ces deux personnalités. ●